Les buveurs de bière sont-ils vraiment des cibles à moustiques ?

L’été, les moustiques sont les invités indésirables de toutes nos soirées en plein air. Depuis longtemps, une rumeur circule : boire de la bière rendrait plus attirant pour ces insectes. Une idée souvent racontée sur le ton de l’anecdote, presque de la légende urbaine, mais rarement prouvée.
En 2023, des chercheurs néerlandais ont profité d’un grand festival pour tester cette affirmation surprenante de manière scientifique. Leurs résultats apportent aujourd’hui des réponses solides... et posent une question inattendue : la bière sans alcool pourrait-elle échapper à ce phénomène ?

Une étude d’ampleur inédite
Le cadre : un festival néerlandais transformé en laboratoire
En août 2023, l’équipe de recherche dirigée par le Dr Felix Hol à l’Université Radboud (Nimègue, Pays-Bas) a profité du festival Lowlands pour mener une expérience unique.
Plus de 465 volontaires se sont prêtés au jeu dans un dispositif expérimental installé directement sur le site. Les chercheurs avaient aménagé des conteneurs transformés en laboratoires temporaires, permettant de tester l’attractivité des moustiques dans un cadre semi-naturel mais contrôlé.
Les résultats principaux
Les données recueillies et publiées en preprint en 2025 montrent que les festivaliers ayant consommé de la bière dans les 12 heures précédentes étaient en moyenne 35% plus attractifs pour les moustiques que ceux qui s’étaient abstenus. Ce chiffre, statistiquement robuste, confirme une intuition populaire tout en rejoignant des études antérieures : une recherche publiée en 2002 au Japon et une autre menée en 2010 au Burkina Faso avaient déjà trouvé des résultats similaires.
Les mécanismes scientifiques en jeu
Les pistes biologiques
Si les chercheurs confirment que la bière accroît l’attractivité pour les moustiques, ils soulignent que le phénomène n’est pas lié à l’éthanol en tant que tel, mais aux effets qu’il provoque sur l’organisme. Plusieurs mécanismes sont évoqués :
- Modification de l’odeur corporelle : la consommation d’alcool modifie la composition chimique des composés volatils émis par la peau.
- Chaleur corporelle accrue : l’alcool provoque une dilatation des vaisseaux sanguins, ce qui rend la peau légèrement plus chaude et donc plus détectable par les moustiques.
- Émission accrue de dioxyde de carbone (CO₂) : en influençant la respiration, l’alcool peut augmenter la quantité de CO₂ rejetée, un puissant signal pour les moustiques.
- Influence sur le microbiote cutané : l’alcool pourrait modifier la composition bactérienne de la peau, ce qui impacte la production de substances odorantes attirant les insectes.
Les molécules clés identifiées
Les recherches récentes en chimie des interactions homme-moustique mettent en évidence plusieurs composés jouant un rôle majeur :
- L’acide lactique, principal attractant humain produit par les bactéries cutanées.
- Les acides carboxyliques, directement associés à l’attractivité.
- L’ammoniac, qui agit en synergie avec le CO₂.
- Les acides gras volatils à chaîne courte, qui renforcent l’effet de l’acide lactique.
Ces résultats confirment que l’attraction des moustiques repose sur un mélange complexe de signaux chimiques, thermiques et respiratoires, plutôt que sur un seul facteur isolé.
D’autres facteurs d’attractivité révélés
Hygiène et comportements
L’étude néerlandaise ne s’est pas limitée à la bière : elle a aussi analysé une multitude d’habitudes de vie. Les résultats sont parfois surprenants :
- la douche, par exemple, réduit nettement l’attractivité : les volontaires fraîchement lavés étaient environ 50% moins piqués.
- le partage du lit la nuit précédente a eu l’effet inverse, en augmentant l’attractivité d’environ 34 %. Les chercheurs avancent l’idée que cette proximité pourrait modifier le profil olfactif d’une personne, soit par un transfert d’odeurs corporelles, soit parce que le sommeil partagé influence la transpiration et la production de composés cutanés.
- la crème solaire s’est révélée protectrice : son application diminue la probabilité d’attirer les moustiques, sans que le mécanisme soit encore totalement élucidé.
- et enfin, une corrélation modeste avec la consommation de cannabis a été observée, mais cet effet disparaît une fois les autres facteurs contrôlés.
Influence génétique et variabilité individuelle
Au-delà des comportements, la recherche rappelle que l’attractivité pour les moustiques dépend aussi de facteurs biologiques difficiles à contrôler.
- Certains individus possèdent des gènes spécifiques (notamment certains allèles du système HLA) qui influencent la composition des odeurs corporelles.
- Le microbiote cutané joue également un rôle majeur : des études récentes ont montré que la diversité bactérienne de la peau conditionne directement la production de composés chimiques attractifs.
Ces éléments expliquent pourquoi, dans un même environnement, certaines personnes semblent toujours “épargnées” tandis que d’autres deviennent les cibles privilégiées des moustiques.
Limites et précautions scientifiques
Biais de sélection de la population
Les chercheurs eux-mêmes soulignent que leur étude s’appuie sur un échantillon très particulier : de jeunes adultes, en bonne santé, présents à un festival de musique. Cette population ne reflète pas nécessairement la diversité en âge, en état de santé ou en habitudes de consommation que l’on trouve dans la population générale.
Un environnement imparfaitement contrôlé
Même si le dispositif expérimental était ingénieux, il reste éloigné des conditions de laboratoire.
Les participants avaient consommé différents aliments, produits d’hygiène ou substances récréatives, difficiles à isoler statistiquement. Ces variables confondantes limitent la portée des conclusions.
La nécessité de validation par d’autres études
Le Dr Hol et son équipe recommandent donc la prudence : les résultats sont solides mais doivent être confirmés dans des contextes plus diversifiés, avec des échantillons représentatifs et dans des environnements plus standardisés.
Vin vs bière : que disent les données ?
Les résultats du festival Lowlands montrent un signal pour la bière (+35% d’attractivité en moyenne), mais pas pour le vin sur cette cohorte, et sans relation linéaire avec l’alcoolémie.
Autrement dit, ce n’est probablement pas l’éthanol “en soi”, mais un ensemble d’effets indirects liés au profil “buveur de bière” (comportements, transpiration/CO₂, température cutanée, microbiote/odeurs) qui explique l’augmentation observée.
Les chercheurs insistent bien : ce n’est pas l’éthanol en lui-même qui attire les moustiques, mais un ensemble de mécanismes encore mal identifiés. Le vin, pourtant plus alcoolisé mais souvent consommé dans des contextes plus statiques (accompagné de nourriture), ne montrerait aucun effet significatif.
Bière sans alcool : une alternative... à tester ?
La bière sans alcool n’a pas été testée directement dans les études, mais on peut raisonnablement supposer qu’elle réduit certains facteurs indirects liés à la consommation de bière classique (comme la transpiration ou l’augmentation du CO₂).
Cela reste toutefois une hypothèse : aucune donnée scientifique n’existe à ce jour sur l’effet spécifique des bières sans alcool face aux moustiques.
L’idée reçue selon laquelle la bière attire les moustiques se confirme : l’étude néerlandaise menée au festival Lowlands en 2023 montre une augmentation d’environ 35% de l’attractivité chez les buveurs de bière. Mais les résultats soulignent aussi un point essentiel : l’éthanol n’est pas directement responsable. Le vin, pourtant plus alcoolisé, n’entraîne pas le même effet.
Les mécanismes semblent plutôt liés à un ensemble complexe de facteurs : composés spécifiques issus de la bière, modification du microbiote cutané, altération des odeurs corporelles et peut-être des comportements associés à la consommation.
En pratique, cela signifie que boire une bière augmente un peu les risques d’être piqué, mais l’effet reste modéré et dépend d’autres variables plus fortes : hygiène (douche), utilisation de crème solaire, génétique, environnement. Quant à la bière sans alcool, elle n’a pas encore été étudiée directement : difficile donc d’en tirer une conclusion ferme, même si elle pourrait logiquement réduire certains effets indirects.
La recherche doit encore progresser pour identifier précisément les molécules impliquées. Mais une certitude se dégage déjà : moustiques et bière forment bel et bien une combinaison qui laisse des traces.