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Néo-hédonisme : le plaisir comme manifeste (monétisable)

20/05/2025
AnthonyAnthony

Le plaisir a longtemps été perçu comme un abandon — une échappatoire aux contraintes du quotidien, souvent associée à l’alcool, à l’excès, à la perte de contrôle. Aujourd’hui, une mutation culturelle discrète mais profonde est à l’œuvre : nous ne cherchons plus seulement à nous détendre ou à profiter, mais à le faire autrement. Dans cette transformation, un mot s’impose peu à peu dans le langage des marques, des médias, et des consommateurs : le néo-hédonisme.

Ce concept, à la fois chargé philosophiquement et investi d’une force marketing nouvelle, met un mot sur la transformation de rapport au plaisir. Il ne s’agit plus de fuir ou de s’oublier, mais au contraire de vivre pleinement, en conscience, en cohérence avec ses valeurs et ses limites. Et dans cette dynamique, la sobriété — notamment l’abstinence volontaire d’alcool — n’apparaît plus comme un renoncement, mais comme un acte positif de reconquête de soi.

Comment ce terme aux accents antiques a-t-il été récupéré, voire réinventé, par les géants de l’industrie ? Que dit-il de notre époque et de ses contradictions ? Et comment peut-il éclairer les nouvelles pratiques de consommation sans alcool ?

Néo-hédonisme : le plaisir comme manifeste (monétisable)

Des jardins d’Épicure aux stratégies de marque

Le mot hédonisme vient du grec hēdonê (ἡδονή), signifiant plaisir. Dans l’Antiquité, c’est surtout Épicure qui va structurer une pensée du plaisir comme fondement d’une vie bonne. Mais loin de l’image caricaturale du plaisir sans limites, Épicure propose une vision mesurée et réfléchie, fondée sur la recherche de plaisirs stables et l’évitement des souffrances inutiles.

Dans sa Lettre à Ménécée, il écrit :

“Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous n’entendons pas par là les plaisirs des débauchés ni ceux qui résident dans la jouissance physique, comme certains le croient, dans leur ignorance, ou dans leur opposition à nous, mais l’absence de douleur dans le corps et de trouble dans l’âme.”

Mais Épicure n’est pas pour autant un ascète. Il ne rejette pas le plaisir sensoriel, tant qu’il reste naturel, nécessaire et libre de toute dépendance. Il valorise la simplicité, la convivialité, la contemplation, mais toujours dans une perspective de joie assumée, lucide et durable.

C’est cette éthique d’un plaisir choisi, conscient de ses conséquences, qui trouve aujourd’hui un nouvel écho dans ce que certains appellent le néo-hédonisme — même si transposé dans un monde saturé de sollicitations et de logiques marchandes.

Réinventer le plaisir pour mieux le vendre

Dans le monde contemporain, les références à l’Antiquité n’émergent jamais par hasard : elles sont souvent retravaillées pour répondre à des imaginaires collectifs.
Le terme “néo-hédonisme”, avec sa charge philosophique et son approche sophistiquée, n’échappe pas à cette règle. Il est aujourd’hui mobilisé dans des contextes très éloignés de la pensée d’Épicure — notamment dans le marketing, où il incarne une nouvelle forme de consommation "plaisir" mais résolument responsable.

Un exemple emblématique est celui de Diageo, acteur mondial des spiritueux, qui a fait du néo-hédonisme l’un des piliers de ses rapports de prospective, notamment dans son _F_oresight Report 2025. Le groupe y identifie une montée des aspirations vers un plaisir plus équilibré, plus conscient, plus “sain”, souvent sans alcool. Ce qu’il qualifie de neo-hedonism est défini comme une tendance de fond : “la recherche de moments d’indulgence significatifs, en accord avec des valeurs personnelles, le bien-être et la durabilité.” (Diageo Foresight Report)

Dans cette optique, les plaisirs de la table, du goût, de la fête sont toujours présents, mais débarrassés de la culpabilité et des excès : on valorise la qualité plutôt que la quantité, la subtilité plutôt que l’intensité brute, la présence à soi plutôt que la fuite.

Cette "récupération" s’avère stratégique. Face à une génération de consommateurs plus modérés, voire abstinents, la promotion d'une expérience festive sans alcool devient un levier d’image et de diversification produit. C’est ainsi que Diageo développe ses gammes "0.0" ou soutient des marques comme Seedlip, pionnières des spiritueux sans alcool, tout en racontant un nouveau récit du plaisir.

Mais cette opération soulève des questions. Quand un groupe historiquement lié à l’alcool fort se positionne comme promoteur d’un nouveau plaisir sobre, s’agit-il d’un véritable alignement avec de nouvelles valeurs... ou d’une réorientation opportuniste de son storytelling ? Le néo-hédonisme, en tant que concept, devient ici une interface : entre aspirations individuelles sincères et logique de captation commerciale, entre évolution des mentalités et adaptation des marchés.

Le nouveau paradigme de la sobriété choisie

Le glissement culturel de la modération au plaisir conscient

Dans le prolongement du néo-hédonisme, la consommation sans alcool devient un espace privilégié pour redéfinir le plaisir. Le rapport Distilled 2025 montre clairement que les consommateurs cherchent des expériences mémorables, mais sans rechercher systématiquement l’intensité extrême. La tendance dite des “Decelerated Occasions” — en hausse de 79 % sur un an — illustre cette volonté de ralentir le rythme des interactions sociales, de se reconnecter à soi, aux autres, et aux lieux.

Ce phénomène s’inscrit dans une logique plus large de “Conscious Wellbeing”, au travers de laquelle la modération n’est plus contrainte mais recherchée.
Parmi les micro-tendances observées, le "zebra-striping"alterner boissons alcoolisées et non-alcoolisées lors d’un même événement — devient courant : près d’un quart des consommateurs britanniques le pratiquent déjà dans les lieux de consommation.

L’expérience sensorielle sobre comme terrain d’innovation

La sobriété n’est pas une absence de plaisir : elle devient le point de départ de nouvelles explorations sensorielles.
Le rapport met en avant l’engouement pour des expériences culinaires et gustatives riches, immersives, souvent associées à des produits sans alcool enrichis d’ingrédients adaptogènes ou nootropiques (pour le soutien de l’humeur ou des fonctions cognitives) .

Ce glissement du plaisir vers la conscience transforme la manière dont on socialise : on ne “fait pas la fête sans alcool” pour s’interdire, mais pour mieux sentir, mieux savourer, mieux se souvenir. Le rapport parle de “Flavour fusion journeys”, d’“Alternative Social Spaces” (+42 % de conversations en un an) et d’un attrait croissant pour des événements intimes, bien conçus, au sein desquels l’alcool n’est plus une norme invisible mais une option parmi d’autres.

En clair, la sobriété devient le support d’un plaisir augmenté, non plus quantitatif mais qualitatif, où chaque détail compte : la musique, la lumière, les saveurs, la présence réelle des corps et des émotions.

Et si notre liberté avait un service marketing ?

Une révolution douce, portée par les individus

Le succès du néo-hédonisme ne s’explique pas uniquement par les stratégies marketing. Il répond à une aspiration sociale profonde : celle d’un plaisir aligné, lucide, sans dépendance. Pour beaucoup, la sobriété devient une forme de puissance personnelle — un refus de l’automatisme, une reconquête de son temps, de son énergie, de ses émotions.

Ce mouvement est transversal : il touche la santé mentale, la productivité, les relations sociales, l’image de soi. Il s’exprime par la montée des rituels sobres (cocktails 0.0% à domicile, dégustations non alcoolisées, fêtes matinales), mais aussi par la recherche de connexion authentique. Le rapport de Diageo insiste sur cette quête de “meaningful connections”, ces liens choisis, profonds, qui remplacent peu à peu les soirées floues et les lendemains brumeux.

Signifiant mon amour

Mais cette transformation culturelle ne passe pas inaperçue auprès des marques, qui voient dans le néo-hédonisme un nouveau récit commercial à exploiter. En reconfigurant leurs gammes, leurs campagnes et leurs partenariats, des groupes comme Diageo captent cette aspiration au bien-être, à la modération, à la singularité.

Le rapport identifie plusieurs signaux : les produits uniques, les expériences exclusives, la personnalisation via l’IA, les partenariats culturels “signifiants”. Ce qui est vendu : c'est la narration du moment parfait, de l’instant qui a du sens. On ne vend plus une boisson, mais une scène de vie valorisante.

Cette récupération n’est pas en soi illégitime. Elle montre que les marques doivent évoluer avec leur époque. Mais elle pose une question de fond : peut-on se fier à un hédonisme piloté par des objectifs commerciaux ? Peut-il rester (aussi) une philosophie d’émancipation quand il est (autant) instrumentalisé pour créer de la valeur marchande ?

Le néo-hédonisme, tel qu’il se déploie aujourd’hui, oscille entre désir sincère de cohérence personnelle et mise en récit stratégique par les marques. Il raconte à la fois notre volonté de sortir des automatismes — notamment celui de l’alcool — et la capacité du marché à capter, absorber, réorienter cette volonté sous forme de produits, de campagnes, d’expériences “signifiantes”.
Mais cette tension ne doit pas nous pousser au cynisme. Car si les marques racontent notre quête de plaisir conscient, c’est qu’elle existe réellement. Si des mots comme sobriété, bien-être, qualité, connexion résonnent dans les discours commerciaux, c’est bien qu’ils traversent nos vies.
La question, alors, n’est pas de rejeter en bloc cette récupération. Elle est de savoir comment préserver une marge de liberté intérieure. Comment, dans un monde saturé de signaux, continuer à choisir des plaisirs qui nous ressemblent, à créer nos propres rituels, à ne pas confondre confort et conformisme.
Le néo-hédonisme peut être une passerelle : entre un monde ancien, fait d’excès codifiés, et un monde nouveau, où l’on savoure mieux, plus lentement, plus lucidement. À condition de ne pas en déléguer la (complète) définition !